La voix des étudiant.e.s-locataires

  • 02 mars 2021
  • Jeremy Wiener et Andrea Sim, Membres de la section étudiante de l’ABC-Québec

En tant que représentants de la Faculté de droit de l’Université McGill de la section étudiante de l'ABC-Québec et bénévoles à la Clinique d’information juridique à McGill, notre objectif est de promouvoir les droits et les intérêts des communautés étudiantes. À cette fin, nous avons parlé à de nombreux étudiant.e.s, et plusieurs ressentent qu’ils n'ont pas le pouvoir de faire valoir leurs droits en tant que locataires. En pleine pandémie, alors que le bien-être des étudiant.e.s-locataires confinés en permanence est déjà en péril, nous souhaitons porter l’attention sur les injustices qu’iels subissent. 

 

La Régie du logement, maintenant le Tribunal administratif du logement (TAL), est le seul tribunal compétent pour entendre des demandes concernant le bail résidentiel lorsque la valeur de la demande est inférieure à 85 000 $. 

 

La Régie a été créée suite à la publication d’un Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires publié par le Gouvernement de René Lévesque en 1978, qui a reconnu à la Régie le rôle de garantir « des relations non seulement harmonieuses, mais également équitables pour tous, lorsque l’occupant d’un logement est locataire »[1]. En effet, le but de la Régie est de protéger les droits de personnes en situation précaire, comme certains étudiant.e.s, et de leur assurer un meilleur accès à la justice. 

 

Le problème, c’est qu’il semble désormais y avoir une grande inégalité d'accès à la justice entre les étudiant.e.s-locataires et les locateurs. Par exemple, sur la question des délais, selon le dernier rapport annuel de gestion de la Régie, le délai moyen pour qu’un locateur obtienne une première audience pour le non-paiement d’un loyer en 2019-2020 était de 1,5 mois, tandis que le délai pour qu’un locataire obtienne une première audience pour « causes civiles prioritaires » était de 9,1 mois. Le délai pour des « causes civiles générales », qui inclut les demandes d’exécuter des réparations nécessaires ou d'adresser des problèmes d’insalubrité, est encore pire : 10,6 mois. Selon un mémoire présenté par le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, le délai moyen entre l'ouverture et la clôture d'un dossier à la Régie dans le cas d’une cause civile est de 17,7 mois. 

 

De plus, la classification « urgente » plutôt que « prioritaire » ou « générale » des dossiers par la Régie semble comporter plusieurs zones grises. Alors que la Régie semble prioriser les dossiers qui impliquent des risques pour la santé et la sécurité des locataires, les étudiant.e.s-locataires qui vivent dans des conditions dangereuses ou d’insalubrité portent le fardeau de démontrer au TAL l'urgence de leur situation; selon nous, ceci mine la prévisibilité juridique de la situation et la capacité des étudiant.e.s de faire valoir leurs droits.

 

À titre d’exemple, si un.e étudiant.e.s-locataire s’engage dans un bail d’un an et emménage dans une nouvelle résidence infestée de souris, et que son propriétaire refuse de régler le problème, la classification de son dossier et les délais moyens du TAL signifient que le cas de cet étudiant.e ne pourra probablement pas être résolu avant la fin de son bail, et ce même s’il entreprend ses démarches au jour 1 de sa location.

 

Pourtant, vivre dans un logement insalubre peut représenter une expérience dangereuse pour la santé physique et mentale, tout en nuisant aux performances académiques et professionnelles, particulièrement en ces temps de pandémie et de confinement.

 

À la lumière de ces problèmes, l'Assemblée nationale a adopté le Projet de loi 16 en 2020, qui a entraîné les plus importantes réformes de la Régie (maintenant le TAL) depuis sa création en 1980.

 

À juste titre, une grande partie de ces réformes favorisent l’accès à la justice des locataires. Maintenant, les demandeurs ont le droit de notifier l’autre partie de leurs démarches judiciaires par des moyens technologiques, comme les messages textes ou les courriels, alors qu’il fallait le faire par huissier ou par la poste auparavant. De plus, le Tribunal privilégiera l’utilisation de la vidéoconférence et d’autres moyens technologiques pour tenir des audiences. Ces mesures visent à aider les demandeurs à commencer leurs démarches et à assister aux audiences de leurs dossiers. Enfin, les locataires n’auront plus besoin d’assumer les frais supplémentaires pour qu’un témoin expert se déplace pour démontrer un fait de leur cause: un rapport signé suffit pour faire office de témoignage

 

Par contre, nous soulignons que plusieurs modifications complexifient les procédures du TAL. L’ajout des articles 56.1 et 56.2 à la Loi sur le Tribunal administratif du logement, par exemple, oblige le demandeur à déposer les pièces de preuves à l’appui dans les 45 jours suivant l’ouverture d’un dossier. Ce type d’étape procédurale semble imiter les tribunaux civils afin de faciliter la gestion interne des dossiers, tout en en aidant à la préparation de l’audience. Toutefois, le non-respect de ces dispositions peut mener à la fermeture du dossier. Certains demandeurs pourraient se désister de leurs requêtes, ou ne pas être en mesure de compléter les procédures requises.

 

En outre, les réformes du Projet de loi 16 privilégient la conciliation, un outil important de résolution des conflits. Par contre, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec émet quelques réserves face au recours accru à la conciliation, qui risque de cristalliser la dynamique du pouvoir qui existe entre les étudiant.e.s-locataires et les locateurs. Par exemple, étant donné les délais importants du traitement de dossiers au TAL, un.e locataire accepterait peut-être une entente moins avantageuse que ce qu'iel aurait obtenu sachant que son dossier risque de ne pas être entendu avant plus ou moins14 mois, plutôt que le délai de 6 mois en médiation. C’est pourquoi certain.e.s des étudiant.e.s avec lesquels nous avons parlé ont déclaré qu’offrir la priorité à la médiation sans réduire les délais interminables de première audience revient à appliquer un pansement sur une blessure profonde qui a besoin de points de suture. 

 

Nous sommes heureux de constater que la réforme de l’article 74.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement et le Projet de loi 75 tentent d’aider notamment les étudiant.e.s-locataires en facilitant leur habilité à avoir accès à des conseils juridiques en cours de route.

 

Mais il nous apparaît important que la réduction des délais doit demeurer la priorité sur le chemin d’un réel accès à la justice dans ce domaine, puisque toute forme de négociation entre des locataires et des propriétaires demeure très souvent inégale. Bien qu’un certain progrès ait été fait de ce côté, nous croyons que la communauté étudiant.e mérite particulièrement d’être mieux servie eu égard à ce qui précède. 

 

[1] Ministère des affaires municipales, Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires, Gouvernement du Québec, Éditeur officiel, 1978, p.5