L’information juridique est-elle vraiment accessible aux justiciables?

  • 13 janvier 2022
  • Jovik Fleury et Gabriel Alves, Président et Vice-Président de la section étudiante de l’ABC-Québec, représentants de l’Université du Québec à Montréal

L’information juridique est-elle vraiment accessible aux justiciables?

Lorsque nous débutons nos études en droit, on nous apprend dès lors les principes de justice naturelle — dont l’impartialité, le droit pour les parties d’être entendues et leur droit de se défendre contre les éléments de preuves déposés contre elles. Ces principes auront un impact différent auprès des justiciables en fonction de la qualité de leur système judiciaire, qui peut être égalitaire, équitable ou juste.

À titre d’exemple, une partie qui a plus de ressources aura tendance à mieux analyser l’impartialité de son procès et à mieux se défendre que la partie adverse adversaire. Voilà un problème possible au sein d’un système judiciaire égalitaire — dont l’offre de ressources se fait de façon uniforme à chaque individu — ou au sein d’un système judiciaire équitable — dont l’offre de ressources est personnalisée à chaque individu sans pour autant évaluer ni corriger les injustices et les barrières relevant de l’organisation des différents systèmes sociaux, des services publics et privés, des politiques, lois et cadres qui sont en vigueur dans notre société.

Ainsi, ce n’est que dans un système judiciaire juste que les principes de justice naturelle trouveront leur pleine force et permettront aux justiciables d’avoir libre accès à un système sans inégalités et barrières systémiques. Au Québec, la mise en place d’un système judiciaire qui se veut plus juste passe par la création ou la bonification de ressources existantes, dont l’information juridique. Or, la communauté juridique doit travailler ensemble pour rendre cette information juridique plus intelligible et, par le fait même, adopter une position plus juste.

Le juge en chef de la Cour suprême du Canada, le très honorable Richard Wagner, C.P., a réitéré lors de la 7e Conférence nationale annuelle sur le travail pro bono qu’un des obstacles majeurs à l’accès à la justice est l'accessibilité à l’information « Combien de problèmes pourraient être évités si le public avait un meilleur bagage de connaissances juridiques [...] ? », a-t-il lancé. Nous croyons qu’il revient donc aux juristes de vulgariser cette information pour s’assurer d’une bonne compréhension du public et, ainsi, contribuer à une accessibilité accrue à la justice.

Plusieurs initiatives existent actuellement pour que le public ait accès à de l’information juridique. Par contre, avec l’avènement d’une nouvelle ère médiatique (balados, diffusions en direct, vidéos de courte durée, publications sur les médias sociaux, etc.), il faut également adapter la façon dont nous offrons de l’information juridique. Lorsque nous pensons aux adaptations possibles, plusieurs initiatives nous viennent à l’esprit.

Me Sophie Mongeon, associée chez Desroches Mongeon Avocats Inc., a travaillé toute sa carrière à vulgariser les concepts juridiques. Récemment, en décembre 2020, elle a lancé son compte Tiktok (@mesophieavocate) qui compte maintenant plus de 50 000 abonné.e.s, afin d’aider les citoyens à comprendre la justice ; avec plus de 3,7 millions de visionnements sur sa chaîne, on conclut qu’elle a su rejoindre le public avec brio. Lors d’un entretien, en octobre dernier, elle nous a relaté les sentiments du justiciable face au monde juridique.

 

« L’information juridique est déjà disponible sur le web, mais c’est épeurant de la trouver. Quand on la lit, ce sont tous des longs mots que les gens ne comprennent pas vraiment et ils ont l’impression de se faire avoir. Donc, moi, quand je parle d’un jugement dans une capsule [Tiktok], je ne donne pas le nom des parties ni la référence, il faut bien résumer le tout. Il faut simplement rendre l’information facile pour que ça [r]entre dans la tête. Grâce à ça, ils n’ont pas besoin de faire de recherches, mais ils acquièrent une information de plus dont ils ne savent même pas s’ils vont en avoir besoin. »

Nous lui avons demandé si les institutions devaient en faire davantage pour aider les justiciables à démystifier la panoplie de documents juridiques qui sont à leur portée. Elle mentionne que, bien que des organismes fort pertinents rendent déjà l’information plus accessible, les citoyen.ne.s peuvent parfois avoir certaines réserves envers les institutions qui publient des éléments de façon très (voire trop) professionnelle. De son côté, elle estime qu’un travail vulgarisé par une personne à laquelle on peut s’identifier est beaucoup plus accessible puisque « ça vient du fond du cœur et ce n’est pas trop retravaillé ». « Les [institutions] font tout ce qu'elles peuvent, mais ce n’est pas évident. Donc, je suis là pour ça », a-t-elle ajouté.

Notons que le très honorable juge Wagner a également souligné les problèmes liés au manque de confiance grandissant de la population envers les institutions publiques dans son récent communiqué.

En septembre 2021, après avoir connu un succès monstre sur Tiktok, Me Mongeon a lancé le balado « À 2 Maîtres » qui traite de sujets pratiques, tels les enjeux de la vaccination, les accidents de voiture et les recours à la SAAQ, le harcèlement psychologique au travail et bien plus encore. Son sens de la répartie et son éloquence l’ont amenée à être une favorite du public et nous espérons que d’autres avocat.e.s emboîteront le pas pour contribuer au mouvement.

Plus près de nous, deux juristes uqamiennes, Ophélie Boisvert et Daphnée Warnet-Atlas, ont lancé en 2020 le Service d’aide légale pour les victimes d’actes à caractère sexuel (le S.A.L.V.A.S.), un organisme luttant pour l’égalité en offrant de l’éducation légale positive et accessible. Après le développement d’une formation sur le cyberharcèlement et le consentement auprès des jeunes du secondaire, le S.A.L.V.A.S. entame maintenant la création d’une série de formations dans les milieux à propension masculine en misant sur une équipe multidisciplinaire et sur une approche d’enseignement positif et participatif.

En parallèle à leurs services, leur équipe opère un balado intitulé « Regards féministes » et le compte Instagram @s.a.l.v.a.s qui rassemble plus de 1300 abonné.e.s.  Le S.A.L.V.A.S. y publie, hebdomadairement, plusieurs carrousels d’information qui mettent de l’avant des questions juridiques et des sujets d’actualité extrêmement pratiques. Présentés de façon accrocheuse, claire et concise pour que leurs abonné.e.s puissent saisir rapidement le fondement juridique derrière des questions du quotidien, les carrousels abordent des sujets tels que: « Est-ce que la responsabilité de la contraception doit toujours reposer sur la femme? » ou « Le tribunal spécialisé en violence sexuelle et en violence conjugale, à quoi s’attendre? »

Selon Madame Boisvert, le moyen le plus efficace de contrecarrer le problème de littératie juridique à travers la population est d’éduquer les individus dès l’adolescence. « Plus tôt on peut aborder les recours, les droits, les limites des droits, mieux c’est », dit-elle. La codirectrice a aussi fait un lien concret entre la vulgarisation de l’information et la réduction des méfaits.

 

« En matière de violence sexuelle, quand les gens sont informés, ça entre dans la prévention. Une personne a moins de chances de causer une agression si elle sait ce qu’est le consentement, quelles sont les limites de ses droits, les conséquences possibles de ses actions. Souvent, les ados pensent qu’ils et elles sont protégé.e.s contre tout parce qu’ils et elles n’ont pas 18 ans. Pourtant, la responsabilité criminelle commence à 12 ans. Le fait de comprendre cela les rend plus alertes, plus attentif.ves et intéressé.e.s à connaître leurs droits pour ne pas entraîner leur responsabilité. »

Leurs publications Instagram sont également révisées de façon très rigoureuse afin que le produit final demeure accessible. En effet, pour éviter les chambres d’échos et s’assurer que le travail est bien vulgarisé, l’équipe prône un système à 5 filtres qui la force à, notamment, choisir un sujet qui émane d’un questionnement de leur entourage et faire réviser la publication par un certain nombre de personnes pour confirmer la compréhension du message. « Beaucoup d’articles de juristes sont écrits par des juristes et pour des juristes. Nous, on écrit pour ceux et celles qui ne voient pas la vie en articles du Code civil. »

Ce que notre société nous démontre et ce que la réussite de ces initiatives nous apprend, c’est que les justiciables aiment consommer un contenu rapide. Alors qu’Internet regorge de ressources juridiques qui peuvent paraître lourdes et complexes, pourquoi ne pas les simplifier via des médias qui proposent des informations rapides? Il faut réaliser que si nous ne suivons pas les tendances sociales, nous manquons notre but en tant que juristes envers les justiciables.

Les initiatives susmentionnées sont l’exemple même que nous avons progressé positivement dans les dernières années vers un système juridique plus juste; mais il ne faut pas s’arrêter là! Nous devons contribuer à l’actuel mouvement de masse et régler les problèmes d’accessibilité à l’information juridique par les moyens de communication de l’heure. Et si nous y contribuions en ajoutant un nombre d’heures pro bono obligatoire dans la formation continue des juristes? Et si nous y contribuions en donnant plus de pouvoir aux étudiant.e.s en droit par l’adoption du projet de loi 75? Et si nous y contribuions en insérant une portion juridique dans le nouveau « cours d’éthique et culture religieuse » proposé par le ministère de l’éducation? Voilà des idées qui sont à notre portée aujourd’hui et qui impliquent plusieurs acteurs de notre société pour nous permettre de croire en un meilleur avenir pour les justiciables. Peut-être auront-elles le même impact que celles de Me Sophie Mongeon et de l’équipe du S.A.L.V.A.S. si nous leur donnons le temps de fleurir?

L’ABC-Québec aura toujours pour mandat de militer pour l’accès à la justice et ce droit fondamental commence par l’accès à l’information. Une société informée est une société libre. Nous devons travailler ensemble afin de donner la chance à tous et à toutes de comprendre leurs droits, et ce, de façon plus juste.

par Jovik Fleury et Gabriel Alves, Président et Vice-Président de la section étudiante de l’ABC-Québec, représentants de l’Université du Québec à Montréal.