Après 30 ans, il l’aime autant qu’au premier jour…

  • 11 décembre 2013
  • Josée Descôteaux - ABC-Québec

Me Pierre BienvenuSur le fil de ses mots, qui émergent doucement de sa bouche, mus par la sagesse posée de l’homme, les éclats d’humeur n’ont pas de prise. Pourtant, derrière ce voile, l’oreille attentive peut percevoir les sursauts de la passion d’un grand juriste. Elle se soulève, au diapason de ses propos, qui racontent, en quelques chapitres, le parcours de celui à qui l’ABC-Québec a décerné la Médaille Paul-André Crépeau le 28 novembre 2013 : Me Pierre Bienvenu. Celle-ci est remise chaque année à un juriste canadien qui a contribué à l’avancement de la dimension internationale du droit privé et du droit commercial du Canada.

Et puis voilà que cette passion s’extirpe de l’antre de la pudeur, au grand jour, dans un élan du discours : « Cette profession, je l’aime autant après 30 ans de pratique que je l’aimais au premier jour… ».

Cette inclination marquée pour le droit international a poussé Me Bienvenu vers l’arbitrage international. Il est aujourd’hui cochef mondial de cette pratique chez Norton Rose Fulbright Canada, où il est également associé principal.

Il ne fut pourtant pas attiré par la profession d’avocat lorsque vint le temps de choisir sa voie universitaire. Il avait plutôt à l’époque un béguin professionnel pour le journalisme. Il avait choisi le baccalauréat en droit pour s’y rendre… puis il a bifurqué en cours de route vers la pratique du droit, pour laquelle il a eu un coup de foudre en travaillant, à titre d’étudiant, au cabinet Ogilvy Renault. «L’utilité et la nécessité du droit m’ont donné une nouvelle appréciation de la discipline », précise l’avocat, qui fut par la suite associé-chef de la direction de ce cabinet, de 2005 à 2009.

Il a interrompu son stage pour entreprendre des études supérieures à la London School of Economics and Political Science. Ce fut un jalon charnière de son parcours, puisqu’il y a découvert son intérêt pour le droit international, mais également pour le droit comparé.

À son retour au pays, en 1983, il entrait dans le giron de Norton Rose Fulbright. L’avocat de 56 ans, récipiendaire de plusieurs mentions et distinctions au cours de sa carrière, y brille dans la gestion de dossiers dont les retombées et les suites ont un large spectre… Il a par exemple représenté le Procureur général du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec.

« C’est un moment fort dans ma pratique. Il interpellait tant le droit constitutionnel canadien que le droit international public, puisqu’il s’agissait de définir ce qui pouvait, ou non, créer un État… », souligne Me Bienvenu.

Il a relevé le défi des causes fortement médiatisées, en représentant Éric dans celle d’Éric c. Lola. « Il y a 20 ans, les avocats ne répondaient pas aux questions des journalistes;  c’est une nouvelle dimension pour l’avocat plaideur. Il faut arriver à expliquer, à vulgariser les enjeux d’une cause, sans les plaider », explique-t-il.

Le récipiendaire de la Médaille Paul-André Crépeau représente actuellement Hydro-Québec dans le cadre du contentieux avec Churchill Falls Labrador Corporation sur la réouverture du contrat de fourniture d’énergie de longue durée.

« J’aime croire que ma cause la plus importante sera la prochaine, que les plus beaux défis sont à venir », laisse-t-il tomber.

Le droit en mutation

En un peu plus de 30 ans de pratique, Me Pierre Bienvenu a été témoin, de l’intérieur, des transformations qui ont marqué l’évolution de sa profession, mais également celle du droit. « La mondialisation de la profession a transformé la pratique. Des cabinets nationaux se sont joints à des cabinets internationaux et la pratique s’est internationalisée, constate l’avocat. La profession juridique a ainsi suivi une évolution qu’on avait observée dans la profession comptable ».

Sans compter la mobilité des cerveaux, poursuit-il, qui pousse aujourd’hui un grand nombre de juristes canadiens vers les cabinets internationaux. Les avocats qui ont fait leurs premières armes dans la profession il y a une trentaine d’années se trouvaient plutôt face au fardeau des frontières juridictionnelles…

Le droit lui-même subit des mutations, alors que le droit comparé génère une influence croissante des droits entre eux, voire leur harmonisation, souligne Me bienvenu.

Témoin de cette évolution, mais également acteur : Me Pierre Bienvenu bonifie sa pratique et nourrit sa passion en mettant son expertise au service de nombreuses associations et organisations, telles que la London Court of International Arbitration, dont il est vice-président. Il est également membre de la commission d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale et membre du comité canadien de la Cour internationale d’arbitrage.

S’il fallait nommer un Maître en droit international auprès duquel les jeunes étudiants et profanes pourraient enrichir leurs connaissances, c’est bien Me Pierre Bienvenu qui serait l’élu. Il prodiguerait alors ce conseil : il est sain, avant de plonger dans la pratique du droit, d’explorer d’autres horizons, par exemple en s’offrant un trimestre d’études ou en dénichant un boulot à l’étranger. « C’est un passeport pour exercer ensuite partout dans le monde… », ajoute-t-il.

C’est sans doute ce qu’il a déjà dit à l’une de ses filles, qui a entrepris en septembre des études en droit… et peut-être a-t-il aussi chuchoté le message à l’oreille de son autre fille, qui jongle avec l’idée d’étudier dans ce domaine…

S’il inocule en elles la passion qui le nourrit, elles seront comblées dans leur vie professionnelle…