Personnalisation à outrance : La ligne entre critique du système judiciaire et attaque personnelle a été dépassée

27 octobre 2025

L’Association du Barreau canadien, Division du Québec (« ABC-Québec »), souhaite réagir à l’article du chroniqueur Patrick Lagacé de La Presse intitulé « Denys Noël, juge et distributeur de bonbons ».

L’article débute par un descriptif de la cause opposant l’état à M. Jean-François Malo et critique la peine qui lui a été octroyée. Jusque-là, M. Lagacé procédait à semoncer le système judiciaire et, si son style pouvait porter à débat, le tout restait tout à fait acceptable dans une société de droit où l’on peut être en accord comme en désaccord avec les décisions des tribunaux. En fait, même lorsque M. Lagacé, dans une chronique datée de la veille et intitulée « La bonne blague des peines bonbons », critiquait sévèrement et avec des mots très durs le processus d’octroi des peines (pourtant encadré par une jurisprudence abondante des tribunaux supérieurs que les juges de premières instances se doivent de suivre), il exerçait encore une fois son droit légitime à la critique. Même si la forme qu’il a prise a pu déplaire ou même insulter plusieurs membres de notre association (qui inclut des milliers de juristes québécois, que ce soient des étudiants et professeurs en droit, des avocats, des notaires ou des juges), nous n’avons ainsi pas jugé pertinent d’intervenir... jusqu’à maintenant.

En effet, l’article paru vendredi matin dépasse les bornes de la critique légitime. Ce n’est plus un système qui est sujet de critiques, mais plutôt un juge que l’on traîne dans la boue. Il s’agit bien plus que de l’expression d’un désaccord lorsque l’on affirme que le Juge Noël a fait usage d’une « extrême complaisance », tournant en ridicule non seulement les justificatifs détaillés du juge dans la détermination de la peine, mais le juge lui-même, le traitant de « pâte molle » à de multiples reprises tout en évoquant, de façon choquante, l’hypothèse que le juge a rendu sa sentence en étant intimidé et en craignant pour sa sécurité.

La question ici n’est pas d’offrir un contre-argumentaire à la chronique susmentionnée par rapport au caractère raisonnable de la peine ou non. Le Juge Noël a soumis ses motifs et le Directeur des poursuites criminelles et pénales a déjà annoncé son intention de porter le débat devant la Cour d’appel du Québec.

L’intervention de l’ABC-Québec a pour but d’enjoindre aux chroniqueurs et observateurs du monde de la justice de respecter la limite de la critique du bien-fondé des décisions des tribunaux et d’éviter les attaques personnelles contre les magistrats. Ces attaques, qui semblent devenir plus fréquentes en ces temps de polarisation et de tyrannie de l’indignation, ne font avancer aucune cause sinon celle de l’érosion de l’état de droit. Les juges de toutes les cours ont la tâche difficile de trancher les débats qui font nécessairement des heureux et des malheureux. Ils le font toutefois de façon extrêmement rigoureuse, en se basant non pas sur l’indignation ou la médiatisation d’une cause, mais bien sûr le droit applicable.

On peut bien évidemment évoquer que le droit devrait être changé, mais il est injuste que la cible de ces critiques soit les juges qui n’ont pas ce pouvoir. Bien au contraire, la société s’attend de la justice qu’elle soit d’une part prévisible, et d’autre part que le droit soit appliqué minutieusement et en vertu de la loi et des précédents plutôt que de l’humeur du moment. Il s’agit d’un rôle particulièrement ingrat, mais il devient insoutenable lorsque des chroniqueurs, voulant colorer leur critique du système, en associent les torts allégués à la personnalité-même du ou de la décideur(e) qui, pourtant, doit absolument travailler dans le cadre déterminé par les principes de droit applicables.

Bien sûr soucieuse de ne pas brimer la liberté d’expression et d’opinion, l’ABC-Québec espère que la présente saura faire en sorte que, dans le futur, tout en continuant leurs critiques nécessaires face à un système de justice perfectible, les chroniqueurs et autres acteurs du monde médiatique juridique se refuseront à sombrer dans l’abus et l’insulte.  

 

-30-

Renseignements :

Me Alexandre Forest, Président

514 975-6265

alexandre.forest@gowlingwlg.com

 

À propos de l’Association du Barreau canadien, Division du Québec

L’Association du Barreau canadien, Division du Québec, se dresse en allié essentiel et en défenseur de ses membres, préconise des systèmes de droit équitables, facilite la réforme efficace du droit, soutient l’égalité au sein de la profession juridique et combat la discrimination.

L’ABC-Québec représente quelque 2 200 avocat.es, juges, notaires, professeur.es et étudiant.es en droit à travers la province.