Entrevue avec des représentants de l’ABC dans l’affaire Trinity Western University

  • 17 octobre 2018
  • Dayeon Min et Benjamin Rivard, Représentant.e.s de l’Université McGill

En juin dernier, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur les arrêts Law Society of British Columbia c. Trinity Western University et Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada. Trinity Western University (TWU) souhaitait ouvrir une faculté de droit où les étudiant.e.s devaient se conformer à un code de conduite qui leur interdisait d’avoir des pratiques sexuelles à l’extérieur d’un mariage hétérosexuel. Toutefois, les barreaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique avaient refusé d’agréer cette nouvelle faculté pour remplir les conditions d’admission à la profession au sein de leur province. La Cour a maintenu les décisions des barreaux de ne pas agréer la nouvelle faculté. L’Association du Barreau canadien (ABC) était d’ailleurs intervenante dans la cause. Nous vous présentons aujourd’hui Mes Olga Redko et David Grossman, qui ont fait partie de l’équipe représentant l’ABC devant les tribunaux. 

Qui sont-ils?

Mes Redko et Grossman pratiquent au sein du cabinet IMK, principalement en litige civil et commercial, en droit constitutionnel et en droit administratif. Bien qu’il s’agit d’un premier dossier devant la Cour suprême pour Me Redko, elle a un intérêt marqué pour le droit constitutionnel et le droit administratif.  Elle assume la présidence de la section de droit Administratif de l’ABC-Québec cette année. Me Grossman, quant à lui, a été impliqué dans plusieurs dossiers importants en matière de droit de la personne devant la Cour suprême comme Succession Kazemi c. République islamique d’Iran.

Pourquoi avoir accepté de travailler sur ce dossier?

D’abord, il est intéressant de noter qu’ils ont travaillé bénévolement avec deux autres avocates, Mes Susan Ursel et Angela Westmacott, dans la représentation de l’ABC. Pour eux, accepter de faire ce travail pro bono représentait l’opportunité de prendre part à un débat important, à la fois juridique et social, car il soupèse des questions liées à la discrimination et à la religion. C’était également une opportunité pour la Cour de se pencher sur les conflits entre certains droits fondamentaux, comme le droit à l’égalité et la liberté de religion, ce qui constitue un débat important non seulement pour la communauté juridique, mais pour l’ensemble de la population canadienne selon Me Redko. Me Grossman remarque qu’il était aussi stimulant de voir des avocat.e.s de partout au pays plaider pour une cause qui leur tient à cœur.

Qu’est-ce que l’ABC a apporté de différent dans le débat?

Pour Me Redko, l’intervention de l’ABC représente un message clair venant de la majorité de la communauté juridique, entre autres, sur le droit à l’égalité d’accès à la profession et sur la place de la communauté LGBTQ. Dans ce sens, il était important que l’Association ne se tienne pas à l’écart de ce débat.

Selon Me Grossman, la décision n’impliquait pas seulement un débat sur le droit à l’égalité, mais aussi, sur la question de l’étendue des pouvoirs de règlementation des barreaux, ainsi que sur le rôle qu’ont les barreaux d’assurer la diversité de la profession. Dans un débat polémique où les intervenants étaient très divisés, l’ABC se distinguait par ses préoccupations quant à l’impact du dossier sur le rôle des barreaux. L’intervention de l’ABC a permis, par ailleurs, d’apporter une perspective globale, jugée importante par Me Redko, dans le débat, puisque l’ABC regroupe des juristes issus de tous les barreaux, ce qui représente les intérêts de la profession, et non ceux d’un barreau spécifique. L’ABC était d’ailleurs un des seuls intervenants qui représentaient les avocat.e.s à travers le Canada. D’après Me Grossman, la perspective apportée par l’Association permettait aussi de s’enquérir du rôle historique des barreaux et de l’évolution de leur pouvoir de règlementation.

Il y a eu, dans la décision, une division entre les juges de la Cour suprême sur l’application du test Doré. Un commentaire sur l'application du test Doré en matière de décisions administratives touchant la Charte?

D’après Me Grossman, sur un plan pratique, la réalité est que le test imposé maintenant en la matière est le test Doré. Cela dit, bien qu’il soit parfois difficile de mettre en application ce test, il s’agit d’un problème inhérent au droit administratif actuel.  Les difficultés reflétées dans le jugement viennent surtout de la trame factuelle complexe de l’instance.  Les tests en droit administratif sont en constante évolution, et il faut se rappeler que le test Doré a, lui-même, été proposé pour remédier à des lacunes. L’étendue et les délimitations du pouvoir des acteurs administratifs sont un sujet de débat important pour les sociétés démocratiques contemporaines, et la décision Trinity Western en est un exemple.

Pourquoi avoir établi un parallèle avec la situation aux États-Unis dans le mémoire de l’ABC?

Quant à la pertinence de présenter l’exemple américain, Me Redko répond que la Cour suprême des États-Unis s’était déjà penchée sur des questions de conflits entre les droits religieux et les droits à l’égalité alors que la Cour suprême du Canada n’avait pas eu des questions similaires par le passé. Bien que ce n’était pas possible de faire des analogies directes entre le droit constitutionnel américain et canadien, c’était certes intéressant de voir comment les tribunaux américains ont balancé les mêmes droits en cause. Me Grossman ajoute que lors de la préparation du dossier devant la Cour d’appel de l’Ontario, le mémoire de l’ABC était surtout axé sur l’exemple du droit américain, puisque dans la division des tâches entre les intervenants au dossier, l’ABC était responsable de ce travail comparatif.

Si la Cour suprême avait décidé en faveur de TWU, quelles auraient été les conséquences sur les barreaux et les facultés de droit?

Me Grossman remarque qu’il serait difficile de prévoir les conséquences directes d’une telle hypothèse puisque cela dépendrait du raisonnement derrière la décision. Par exemple, sur le même sujet, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse avait décidé contre le barreau de la Nouvelle-Écosse sur une base surtout procédurale. Comme la situation de TWU est particulière, Me Redko estime que les conséquences n’auraient pas été nécessairement sur la formation juridique en soi, mais plutôt, sur l’accès à la profession. Le message envoyé aurait été qu’un accès inégal à la profession était acceptable. Me Grossman souligne aussi qu’il est important de se rappeler que cet arrêt n’est pas une décision touchant directement l’université en cause et le pouvoir d’imposer des codes de conduite à ses étudiant.e.s, mais plutôt, le pouvoir des barreaux d’accréditer des facultés de droit.

Est-ce que les barreaux devraient avoir une influence sur les curriculums des facultés de droit?

Pour les deux avocat.e.s, il est important que les facultés de droit puissent jouir d’une grande liberté quant à leurs curriculums et à leurs méthodes d’enseignement du droit. La distance que maintiennent les barreaux avec les facultés de droit en ce moment est souhaitable. Me Grossman croit aussi que les barreaux ne doivent pas limiter l’accès à la profession à certaines perspectives ou encore limiter leur compréhension de la diversité à certains « types » de diversité. Après tout, comme le souligne Me Redko, les études en droit ne servent pas seulement à former des avocat.e.s, mais aussi à réfléchir sur la société et comment le droit influence la société.

Nous tenons à remercier Mes Olga Redko et David Grossman d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

Le mémoire (en anglais) présenté par l’ABC est disponible ici.