L’adaptabilité de la procédure civile québécoise

  • 19 septembre 2016
  • Joël Turgeon, étudiant en droit à l’Université Laval, Norton Rose Fulbright

Chronique de la section de droit des Étudiants et étudiantes en droit de l'ABC-Québec.

Dans un article précédent intitulé Génération NCPC, je discutais de l’évolution de la procédure civile du Québec dans le cadre de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile[i] (NCPC) et de certaines questions que soulèvent les nouvelles dispositions, dont la réponse viendrait notamment des juristes de demain. Dans cet article, je vous invite à réfléchir sur un des objectifs principaux du nouveau Code : accroître l’adaptabilité de la procédure civile québécoise.

La procédure civile poursuit, en théorie, deux principaux objectifs : le règlement efficace des litiges et l’atteinte de la justice. En pratique toutefois, les règles de procédure doivent se situer dans un juste milieu : une procédure trop axée sur l’efficacité poserait un risque pour la qualité du service de justice, et une procédure traitant tous les litiges selon les plus hauts standards procéduraux poserait un risque d’engorger les tribunaux.

La procédure civile du Québec atteint ce juste milieu en étant adaptative au fait que certains litiges requièrent une procédure plus rapide, et d’autres, une procédure plus sophistiquée. Cette adaptabilité s’est concrétisée sous l’ancien Code[ii] et a progressé avec l’entrée en vigueur du NCPC. Outre la hausse du seuil des petites créances, les exemples ne manquent pas pour étayer cette progression.

Prenons l’exemple de la nouvelle obligation, faite aux parties dès le premier article du nouveau Code, de considérer les modes privés de prévention et de règlement des différends. Les parties doivent dorénavant indiquer, au protocole de l’instance, la considération qu’elles ont portée à recourir à la justice extrajudiciaire[iii]. Le juge peut de plus inviter les parties à avoir recours aux modes alternatifs de règlement des différends, même d’office[iv]. La codification de ces notions démontre bien que l’adaptabilité de la justice québécoise a progressé sous le nouveau Code, qui reconnaît que certains litiges peuvent être résolus de façon satisfaisante extrajudiciairement.

La progression de l’adaptabilité de la procédure civile du Québec transparait également de l’ajustement du rôle du juge opéré avec le nouveau Code. En 2002, suite au Rapport du Comité de révision de la procédure civile[v], un rôle de conciliation des parties est ajouté à la mission du juge civil[vi], mission qui a encore évolué avec l’article 9 C.P.C. Alors que l’ancien Code prévoyait que le juge pouvait tenter une conciliation si les parties y consentaient, le nouveau Code prévoit qu’il en va de la mission du juge de favoriser la conciliation des parties si les circonstances s’y prêtent, notamment dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable, mais, généralement, dans tous les contextes. Le juge se voit désormais octroyé des pouvoirs particuliers d’ordonnance à l’article 158 C.P.C. (particulièrement au premier paragraphe), qui, selon les commentaires du ministre, visent à lui permettre de mieux intervenir afin de favoriser le règlement des dossiers. La procédure s’en trouve assouplie et mieux adaptée au solutionnement anticipé des litiges.

Prenons enfin l’exemple du principe de proportionnalité. En 2002, toujours suivant le Rapport du Comité de révision de la procédure civile[vii], le principe de proportionnalité est codifié à l’article 4.2 de l’ancien Code. L’article 4.2 disposait d’une obligation pour les parties de faire le choix d’une procédure proportionnelle à la nature et à la complexité du litige. Il disposait également d’une obligation pour le juge de faire de même quant aux actes de procédure qu’il autorisait ou ordonnait. L’article 4.2 a été raffiné pour devenir l’article 18 C.P.C., en vertu duquel l’obligation des parties de respecter le principe de proportionnalité est désormais expressément élargie au choix d’une contestation orale ou écrite, à toute « démarche » plutôt qu’aux seuls actes de procédure, et même, au choix des moyens de preuve. Pour le juge, c’est dorénavant toute la gestion de l’instance qui doit être proportionnelle à la nature et à la complexité des litiges, et non plus seulement les autorisations et les ordonnances procédurales. Enfin, le principe de la proportionnalité est maintenant sanctionné non seulement par le régime de l’abus de procédure, mais également par l’article 341 C.P.C., de droit nouveau, qui permet au juge de condamner une partie n’ayant pas respecté le principe de proportionnalité aux dépens de l’instance. En somme, cette augmentation de la portée du principe de proportionnalité illustre bien la volonté du législateur d’accroître l’adaptabilité de la justice québécoise, alors que plus de composantes de la procédure doivent désormais être proportionnelles à la nature et à la complexité des litiges.

Ces trois exemples permettent de constater que l’adaptabilité de la justice civile s’est accrue avec l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile. En effet, le législateur québécois réconcilie les objectifs de règlement efficace des litiges et d’atteinte de la justice en opérant une juste répartition des ressources afin d’offrir à chaque cas particulier une procédure plus simple ou une procédure plus sophistiquée, selon les besoins.

Est-ce que cette évolution législative portera les effets escomptés en pratique? La question est ouverte, et, bien sûr, ce sera notamment à la « génération NCPC » d’y apporter une réponse.

[i] RLRQ, c. C-25.01 (C.P.C.).
[ii] RLRQ, c. C-25 (Ancien C.P.C.).
[iii] Art. 148 C.P.C.
[iv] Art. 158 par. 1 C.P.C.
[v] Ministère de la Justice du Québec, Rapport du Comité de révision de la procédure civile. Une nouvelle culture judiciaire, [En ligne] [justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/crpc/crpc-rap2.pdf].
[vi] Art. 4.3 Ancien C.P.C.
[vii] Préc., note 5.