Récit sans filtre de trois avocates en politique

  • 24 janvier 2014
  • Josée Descôteaux - ABC-Québec

1981. Une femme. Militante pour le Parti québécois, admise au Barreau du Québec trois ans plus tôt. Sans risquer l’opprobre, on pouvait à l’époque demander à une politicienne : « Qu’en pensent les vraies femmes? », lorsque celle-ci exprimait son opinion sur un enjeu social. Pour Louise Harel : éclat de rire et puis s’en va. Elle a dit oui à René Lévesque. Munie de ses outils – sa formation de juriste et ses convictions – elle a forcé quelques portes et verrous rouillés de la politique pour pousser l’adoption de lois. Non sans quelques échardes…

1963. Une petite Italienne, à Montréal, révèle, dans son devoir d’école, qu’elle sera un jour politicienne et qu’elle fera un monde d’opportunités égales… Sans peur ni pudeur, elle exprimait son opinion sur tous les sujets et son grand-père avait alors « prédit » qu’elle serait avocate. Elle est devenue Maître Rita de Santis et après 31 ans au service d’un grand cabinet, elle plongeait dans l’arène politique en 2012. Toujours avec ce besoin irrépressible de faire entendre son jugement.

2013. Une avocate de 36 ans qui a brillé au sein des équipes de deux grands cabinets quitte la direction d’une agence de communication internationale pour sauter sans filet dans l’univers de la politique municipale. Mélanie Joly a choisi la plus grosse de ses planètes : la mairie de Montréal. Rompue à l’exercice de l’argumentation, armée de son bagout et de son riche bagage de connaissances, elle a lutté pour la gagner, en vain. Mais ce n’était là que l’avant-propos de son œuvre en politique.

2014. Trois avocates, trois femmes de politique. Le 21 janvier dernier, elles ont décrit leur route, parfois sinueuse mais oh combien enivrante, dans le cadre d’un déjeuner-causerie organisé par notre section Forum des femmes.

Section Forum des femmes.Elles avaient remisé leur langue de bois avant de faire leur entrée au Centre de conférences de l’édifice Sun Life, à Montréal. Ce qui, assurément, a décuplé l’attention et l’intérêt des quelque 40 personnes qui les ont écoutées.

La politicienne aguerrie

« On peut décider de n’être qu’un pion en politique. Moi, ce que je voulais, c’était faire des précédents. Ma formation de juriste m’a servie. Elle m’a donné la conviction qu’on peut arriver à nos fins. Le sentiment, que l’on peut le faire, malgré la contestation… La première loi qu’on m’a soumise contenait 52 articles et j’ai présenté 47 amendements…! », lance Louise Harel, admise au Barreau en 1978. Elle militait alors pour le Parti québécois depuis quelques années : le goût de la politique courait déjà dans ses veines et il a outrepassé celui du droit.

Huit femmes siégeaient à l’Assemblée nationale lorsque Louise Harel, aujourd’hui âgée de 68 ans, y a fait son entrée en 1981, après avoir été sollicitée par René Lévesque. On en comptait 41 en 2012… « Quand j’ai commencé, les femmes ne prenaient pas la parole en public… nous avons fait par la suite des pas de géante, parce que les femmes parlementaires se sont montrées solidaires », relate Mme Harel, qui fut la première femme présidente de l’Assemblée nationale, en 2002.

Elle a vécu son crépuscule de la politique municipale en novembre dernier, après sa défaite dans la course au poste de conseiller de Ste-Marie, dans l’Arrondissement montréalais de Ville-Marie. La route qui l’a menée jusque-là est cependant parsemée de victoires : elle a trimé dur pour vaincre l’opposition à la Loi sur le partage du patrimoine familial, de même qu’à la Loi sur l’équité salariale et à la Loi sur la perception des pensions alimentaires… Elle est également l’instigatrice de la création des Centres locaux d’emploi, qu’elle compte parmi les réalisations dont elle est le plus fière.

Trois fois ministre, au sein des cabinets de quatre premiers ministres, sept élections générales, chefferie de l’opposition officielle de Montréal pendant quatre ans et députée de Hochelaga-Maisonneuve pendant 27 ans : la « conversion » de Maître Louise Harel fut assurément providentielle pour la société québécoise…

L’avocate fraîchement convertie

« Pour moi, être une femme et faire de la politique, c’était normal. La députée de mon comté était Claire Kirkland-Casgrain… », relate Rita de Santis, 58 ans, élue députée de la circonscription de Bourassa-Sauvé à l’Assemblée nationale en septembre 2012.

Celle qui fut élevée dans une famille italienne (qui a immigré au Canada en 1958) catholique plutôt conservatrice ébranlait déjà, à un jeune âge , les colonnes du temple où les filles sont à la maison et les garçons en autorité: elle fut présidente des élèves de son école en 11e année. Elle a par la suite opté pour les études supérieures en sciences, avant de bifurquer vers le droit.

Sa carrière en droit et sa vocation en politique se sont croisées avant son entrée en cabinet. Rita de Santis travaillait déjà pour le PLQ au moment où le recruteur Davies Ward Phillips & Vineberg l’avait convoquée en entrevue. Séduit par un article de journal qui rapportait une activité politique à laquelle elle avait  participé, il avait fait dévier l’entrevue vers la conversation et ce fut le début d’une carrière de 31 ans au sein de ce cabinet.

En 2012, l’envie de faire de la politique, qui était en veilleuse depuis le début de sa carrière en droit, est revenue la titiller et elle a accepté l’invitation du PLQ à joindre ses rangs. « Mon mari a accepté d’être avec moi quand j’ai décidé de me lancer en politique. Il faut comprendre que les gens qui nous aiment vont souffrir quand on fait ce travail : la politique nous mange », souligne celle qui, malgré tout, se nourrit dans sa vocation, souhaitant donner à d’autres les richesses, telles que l’éducation, qu’elles a reçues… Elle admet d’ailleurs, en réponse à une question posée par Me Michèle Moreau, présidente de l’ABC-Québec, qu’elle lorgnerait avec convoitise le ministère de l’Éducation dans un éventuel gouvernement libéral…

La novice prometteuse

Dans la ligne de mire politique de Mélanie Joly : la mairie de Montréal. L’objectif était en gestation avant 2013, le temps d’acquérir une expérience professionnelle pertinente et de fomenter l’échafaudage d’idées et de positions qui allait constituer les assises de son parti, Vrai changement pour Montréal.

Après avoir œuvré à titre de stagiaire et avocate chez Davies Ward Phillips & Vineberg de 2000 à 2004, elle fut membre de l’équipe de Stikeman Elliott de 2005 à 2007, après quoi elle fut directrice associée du cabinet de relations publiques Cohn & Wolfe, de 2007 à 2013.

« La marie de Montréal, pour moi, c’était un rêve. Je suis amoureuse de ma ville… c’est à ma génération de prendre le relais de ceux qui ont bâti Montréal afin de construire la ville que l’on veut », affirme-t-elle.

Elle a formé une équipe et fondé son parti et malgré un premier écueil douloureux – le lancement de sa campagne fut éclipsé par la nouvelle de l'arrestation de Michael Applebaum, puis elle a ultérieurement perdu des membres de son équipe – elle a poursuivi sur cette route. L’effort ne fut pas vain puisqu’elle a finalement gagné une part honorable de l’électorat.

« J’ai réalisé que pour se lancer en politique, il faut être capable de gérer son stress, avoir confiance en soi sans pour autant écraser les autres et il faut se connaître soi-même », poursuit l’avocate de 36 ans.

Ses desseins sont clairs et le désir de les réaliser est assez fort pour sacrifier les avantages financiers et les eaux moins houleuses de la carrière en droit. Elle souhaite d’ailleurs ardemment – et sans tarder – obtenir un siège au Conseil municipal de Montréal.

Et l’ascendant féminin sur la politique dans tout ça?

« Les femmes ont notamment introduit une gestion du temps différente en politique, en faisant en sorte que l’Assemblée ne siégeait plus jusque tard dans la nuit. Mais la politique sera toujours un jeu de pouvoir, parce que c’est un jeu mortifère; il faut faire disparaître l’adversaire »…

Les propos sont crus et pourtant crédibles. Ils sortent de la bouche de Louise Harel, qui répondait à la question de Me Maurice Forget, de Fasken Martineau. Celui-ci se demande si la présence de plus en plus marquée des femmes en politique pouvait laisser présager la transformation de la façon de faire de la politique.

Selon Rita de Santis, le sentiment commun que le leadership est conjugué au masculin persiste, alors que les femmes en politique sont souvent perçues comme étant plus « rassembleuses ».

Mélanie Joly croit pour sa part que l’archétype du « leader masculin rassembleur et charismatique » s’effrite. « J’essaie de trouver un équilibre entre cette façon de faire et la conciliation », précise-t-elle.