Montréal, Maine & Atlantique Canada Cie c Québec (Développement durable, Environnement, Faune et Parcs) 2014 QCTAQ 04118

  • 15 juillet 2014
  • Me Martin Thiboutot, Fasken Martineau Québec – Membre du Comité exécutif de la Section droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources naturelles

Le Tribunal administratif du Québec (le « Tribunal ») est saisi de deux requêtes en intervention dans les recours en contestation de deux ordonnances émises en août 2013 par le ministre du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs (le « Ministre »). Ces ordonnances furent rendues contre différentes sociétés, dont la Montréal, Maine & Atlantique Canada Cie, à la suite du tristement célèbre déraillement d’un train le 6 juillet 2013 au centre-ville de la Ville de Lac-Mégantic.

Le Tribunal est donc amené à déterminer, en exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît la jurisprudence, si les personnes qui souhaitent intervenir en vertu de l’article 100 de la Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE ») justifient d’un intérêt suffisant au sens de l’article 16 des Règles de procédure du Tribunal administratif du Québec.

Pour ce faire, le Tribunal doit s’assurer que la personne qui souhaite intervenir possède un intérêt suffisant, que son intervention aidera à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction. En outre, les avantages d’une intervention doivent être appréciés en fonction des désavantages qui peuvent en résulter. Ainsi, une intervention qui risquerait d’augmenter inutilement la durée, le coût et la complexité de l’instance, ou qui ne serait d’aucune utilité ni pertinence à la solution du litige ne devrait pas être acceptée. De plus, l’intervenant ne doit pas chercher à se substituer aux véritables parties au litige.

Il est pertinent de noter que la Ville de Lac-Mégantic s’est fait reconnaître en février 2014 le statut d’intervenante en application de ces mêmes critères.

La demande d’intervention de M. Daniel Green

Le premier requérant, Daniel Green, prétend avoir un intérêt suffisant pour intervenir au litige notamment en ce qu’il participe depuis plus de trente ans à faire de la vulgarisation scientifique dans le domaine de l’écotoxicologie et à gérer des programmes de sensibilisation et d’information du public.

M. Green soutient par ailleurs que le pétrole brut qui a été rejeté dans l’environnement depuis le déraillement du train à Lac-Mégantic a altéré la qualité de l’environnement portant ainsi atteinte à son droit à la qualité de l’environnement prévu à l’article 19.1 de la LQE ainsi qu’à son droit à la sûreté, à l’intégrité de sa personne et à son droit de vivre dans un environnement sain prévu aux articles 1 et 46.1 de la Charte des droits et libertés de la personne (« CDLP »).

Or, le Tribunal est d’avis qu’il ne suffit pas d’invoquer ces droits pour démontrer un intérêt suffisant aux questions en litige devant le Tribunal. Daniel Green reconnaît qu’il ne peut introduire un recours en contestation des ordonnances, mais il désire intervenir pour les contester. Il n’appuie pas spécifiquement une partie, il n’est simplement pas satisfait de la manière dont le ministre a motivé ses ordonnances et il veut les faire modifier pour, selon lui, les améliorer.

Le requérant se présente à la fois comme un activiste environnemental et comme un expert et demande de pouvoir intervenir afin de témoigner, d’interroger les témoins et d’argumenter. Il cherche ainsi, selon le Tribunal, à se substituer aux véritables parties au litige.

Le Tribunal estime qu’il serait contraire aux intérêts de la justice que le litige existant entre les parties soit détourné et complexifié par des désaccords et des conflits portant sur des questions sans lien avec celles qui doivent être tranchées dans le cadre de la présente instance. Un tel détournement du débat entraînerait des délais supplémentaires ainsi qu’une multiplication des coûts pour l’ensemble des parties.

En conséquence, sa demande d’intervention doit être refusée.

La demande d’intervention du comité citoyen

Le comité citoyen de la région du lac Mégantic souhaite faire entendre la voix de certains citoyens touchés par la contamination et qui seront directement affectés par les activités de décontamination de la région du lac Mégantic. Ceux-ci sont préoccupés de savoir qui va payer pour la décontamination et ayant vécu quotidiennement le déroulement des événements, ils souhaitent avoir la possibilité d’intervenir pour éclairer le Tribunal et s’assurer qu’il aura toutes les informations pertinentes pour trancher les litiges.

Le Tribunal est d’avis que les ordonnances contestées affectent les membres du comité citoyen en ce qu’elles ordonnent aux diverses parties de procéder à la décontamination des propriétés et du milieu de vie de ceux-ci. L’expression de leur point par les membres du comité sur les questions soumises au Tribunal est donc susceptible de donner un éclairage additionnel au Tribunal, le tout sans prolonger inutilement les débats. Ainsi, bien que la Ville de Lac-Mégantic puisse transmettre au Tribunal les points de vue de ses citoyens sur les questions en litige, le Tribunal autorise le comité citoyen à intervenir durant une période d’environ une heure après la plaidoirie de la Ville de Lac-Mégantic.

Commentaire :

En cette ère de prise de conscience collective où plusieurs cherchent à intervenir dans le débat public, cette décision permet de rassurer les parties à un dossier judiciaire comportant un volet environnemental qu’on ne permettra pas à quiconque de s’ingérer dans la bonne conduite des procédures judiciaires, souvent déjà fort complexes. À chacun son forum!