Entre le palais de princesses et le Palais de justice, la naissance d’une carrière et d’une passion

  • 21 janvier 2014
  • Josée Descôteaux - ABC-Québec

Maître Emmanuelle PoupartSur le parvis des objets qui exhalent à ses yeux beauté ou majesté, figurent des poupées bellement vêtues. Mais y trône également la noblesse des règles de droit, altesses de la justice. Dans le jardin des connaissances de la fillette de neuf ans, les tables de multiplication de zéro à neuf côtoient la définition de la présomption d’innocence. Les yeux bruns et pétillants d’Emmanuelle s’illuminent quand ses pieds foulent le sol du Palais de justice. Aujourd’hui, le regard porte encore cet éclat. Mais une autre lueur l’anime : la passion. Celle de la petite Emmanuelle devenue Maître Emmanuelle Poupart.

Portrait sans prétention de la présidente de notre section de droit des assurances et litiges civils et associée chez McCarthy Tétrault, ou parcours d’une disciple de Thémis qui prend les recours collectifs à bras-le-corps (et le cœur) et qui nourrit un intérêt et un talents marqués pour les causes de responsabilité médicale.

Elle s’est engagée sur sa route dès le préambule : son père, Me Pierre Poupart, criminaliste, lui a enseigné les préceptes et la nécessité indéfectible du droit au mitan de son enfance. Nulle intention de tracer une voie prescrite : la petite, dont deux des oncles paternels sont avocats,  posait des questions, insatiable. « J’aimais beaucoup aller au Palais de justice. Je m’arrangeais pour y aller avec lui quand il y avait des journées pédagogiques. Et même plus tard, quand j’étais au secondaire, au cégep et à l’université, je continuais à y aller », raconte l’avocate de 42 ans.

Oh certes, elle admirait l’esthétique des lieux lorsque charme il y avait. Mais la beauté qui l’habitait alors avait pour source l’effervescence d’une salle d’où la vérité émerge au nom de la justice, mais également le constat fascinant qu’il était possible de voir et d’entendre des interactions conviviales entre des juristes qui trimaient pour le triomphe de visions opposées…

Défendre et apprendre

Le droit coulait déjà dans ses veines depuis belle lurette à sa sortie du Collège Jean-de-Brébeuf en 1991, où elle a obtenu un diplôme d’études collégiales en sciences administratives, mais un autre univers professionnel titillait son intérêt : les sciences et plus spécifiquement la médecine. « Mais je savais que je ne possédais pas les aptitudes nécessaires pour exercer cette profession. Je me suis inscrite aux HEC et en droit, parce que j’avais déjà une attirance pour la responsabilité médicale… », explique-t-elle, en ajoutant que le droit représentait en outre pour elle une zone de confort…

Elle y a finalement plongé en 1994, en complétant son baccalauréat en droit civil, à l’Université de Montréal et fut admise au Barreau un an plus tard. Elle a ensuite fait flèche de tout bois pour trouver sa niche professionnelle, en même temps que des flopées d’autres finissants. Son aisance en situation d’entrevue et la pertinence de son jugement ont convaincu les gestionnaires du cabinet Nicholl Paskell-Mede (aujourd’hui Clyde & Co), spécialisé dans les causes de responsabilité professionnelle, de l’accueillir au sein de leur équipe. Elle y a œuvré de 1995 à 1998.

Puis « Comme je souhaitais avoir plus de causes en responsabilité médicale, mais également pour avoir la possibilité de travailler avec des avocats seniors dans des dossiers d’envergure, j’ai choisi de me joindre à McCarthy Tétrault », relate celle qui est mère de deux enfants, âgés de 7 et 12 ans.

Elle a par la suite complété un diplôme d’études supérieures spécialisées en bioéthique à l’Université de Montréal, en 1999. On lui confie aujourd’hui des causes en assurances et responsabilité médicale, de même que des recours collectifs. Elle représente notamment l’Université McGill (lorsque celle-ci est poursuivie par des étudiants par exemple).

Me Poupart a également représenté Shell, dans un recours collectif concernant le calibrage des pompes à essence, de 2011 à 2013.

Tout type de cause titille son intérêt « parce que ce sont en fait surtout les gens avec qui je travaille qui m'intéressent. Dans les affaires impliquant des compagnies pharmaceutiques par exemple, je travaille avec des scientifiques et j’apprends beaucoup… », indique l’avocate, qui était jusqu’à tout récemment membre du comité exécutif du chapitre canadien de PLUS (Professional Liabilty Underwriting Society). Cet organisme américain regroupe des avocats, des courtiers et des assureurs dont le mandat est d’organiser des conférences en lien avec l’industrie de l’assurance, de même que des activités de réseautage.

L’immersion totale

Comment cet intérêt pour les poursuites en responsabilité professionnelle est-il né? Il lui fut d’abord inoculé par le professeur qui enseignait cette matière dans le cadre du baccalauréat en droit.

La réalité crue et douloureuse est également à l’origine de ce choix dans sa pratique. Elle fut témoin, il y a plusieurs années, d’un drame vécu par une famille qu’elle connaît, et qui avait intenté une poursuite contre les médecins.

Évidemment, ce type de cause, tout comme un grand nombre de poursuites en responsabilité médicale, peuvent provoquer des sursauts d’émotivité, qu’il faut apprendre à tempérer, souligne l’avocate. Car il faut parfois aussi offrir un support psychologique au personnel médical qu’elle représente…

Le défi est source d’une richesse humaine qui bonifie son quotidien professionnel. Mais le carburant le plus puissant pour son enthousiasme professionnel est sans nul doute le procès, affirme-t-elle. « Quand je suis en procès, je suis obnubilée par ma cause. C’est difficile de ne pas y penser… même à la maison! ». Ce qui ne l’empêche pas, souligne-t-elle, de parvenir à évacuer temporairement le travail de son esprit lorsqu’elle est avec sa famille.

Cette « éviction » de ses pensées est chaque fois provisoire car pas un instant elle n’a songé, au fil des ans, à quitter le droit. Car elle estime qu’exercer sa profession constitue un privilège qu’elle détient et la mission qui lui incombe est, à ses yeux, teintée de noblesse… celle-là même sur laquelle son père avait levé le voile pour elle lorsqu’elle était enfant.

Pourtant, estime-t-elle, cette aura s’effrite, alors que le respect du système judiciaire semble s’éroder. « Je suis surprise et déçue par l’absence de décorum à la Cour; le non-respect des échéances, la tenue vestimentaire…», ajoute-t-elle.

Le constat, bien qu’implacable, ne génère même pas une parcelle de remise en question de sa place dans ce système. Encore moins lorsqu’elle reçoit un coup de téléphone annuel bien particulier. Tout a commencé en 2008. L’avocate représentait deux médecins poursuivis pour faute médicale. Le juge avait tranché en leur faveur. Depuis ce jour, à la même date, l’un des deux médecins téléphone à Me Poupart. Ému et toujours reconnaissant, il rappelle et souligne tout le support moral et l’accompagnement dont il a pu bénéficier tout au long de cette épreuve.

Dès lors s’allume ce même regard qui était attisé par les objets de la Cour il y a plus de 30 ans. Mais cette fois, la fillette de 9 ans est Maître Emmanuelle Poupart et en écoutant la gratitude de cet homme, elle sait qu’elle tient entre ses mains l’une des pierres d’assise qui font la majesté de la justice.