L’avocate qui préfère la houle aux eaux calmes…

  • 18 décembre 2013
  • Josée Descôteaux - ABC-Québec

Portrait de la présidente de la section de droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources naturelles, Me Christine Duchaine

Me Christine DuchaineIninterrompu, le flot des mots soulève les échos de la passion que seul l’être sourd et aveugle ne saurait percevoir. La voix, douce et posée, telle un leurre, masque la force de la juriste qui a quitté le nid confortable d’un grand cabinet pour construire son propre repaire, Sodavex.

La fougue toute en retenue alors? Assurément, celle qui se dessine en filigrane sur la trajectoire singulière d’une avocate qui voulait gagner son pain avec son amour des animaux. Une femme dont la fibre théâtrale, titillée lors d’un concours de plaidoirie, fut le germe d’une carrière portée par une forte inclination pour les parcours aux montées abruptes. Regard sur la nature de la présidente de la section de droit de l’environnement, énergie et ressources naturelles, Me Christine Duchaine, présidente de Sodavex.

Sa mère avait un jour résumé avec un exemple éloquent cette propension pour les routes sinueuses : entre l’autoroute et les routes de campagne plus ou moins carrossables, elle choisira le second itinéraire pour parcourir la distance qui sépare Montréal et Québec…

« Plus le défi est grand, plus j’ai envie de montrer aux gens que je suis capable de le relever », laisse tomber celle qui a reçu, en novembre dernier, le Prix d’excellence de CREW Montréal (Commercial Real Estate Women).

La « prédisposition pour la complexité » de l’avocate de 48 ans est visiblement un terreau fertile pour la réussite, voire le couronnement, puisqu’elle compte également parmi les huit incontournables de l’édition de décembre 2013-janvier 2014 du magazine Premières en affaires.

Mais revenons en arrière, question de mieux jauger l’étoffe de la juriste…

Le règne animal ou les règles de droit?

Dans l’embryon même de ses rêves de carrière, trônait la médecine vétérinaire. Un obstacle s’est dressé sur sa route : l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec brandissait la menace de ne pas reconnaître le diplôme de la seule école de médecine vétérinaire de la province, arguant que la désuétude de l’équipement utilisé dans le cadre des cours menaçait la qualité de l’enseignement. Celle qui avait jusqu’ici baigné uniquement dans les eaux des sciences pures a décidé de s’en extirper pour plonger temporairement dans les études en droit, « parce que ça allait sans doute m’être utile un jour », ajoute-t-elle.

Elle a complété les deux premières années du baccalauréat et même si les encombres aux études en médecine vétérinaire étaient levés, elle a poursuivi sur cette route.

Sa participation (et sa victoire) à un concours de plaidoirie en 1988 fut la bougie d’allumage de sa décision de devenir disciple de Thémis. « J’ai pu satisfaire en quelque sorte mon goût du théâtre et c’était en plus un défi intellectuel. J’ai décidé de faire un stage », relate-t-elle.

Le cabinet McCarthy Tétrault l’a repêchée pour un stage et elle a poursuivi sa pratique chez Stikeman Elliott après son assermentation en 1990. Elle y a nourri son intérêt pour le droit administratif, alors qu’on lui confiait de nombreux dossiers dans ce domaine.

« On m’a approchée pour faire des dossiers en environnement; la majorité des recours dans ce domaine sont en fait du droit administratif. J’aimais ces dossiers mais on en était aux balbutiements du droit de l’environnement à l’époque. Il a fini par constituer 100% de ma pratique », raconte l’avocate mère de deux enfants.

Quelques années plus tard, elle était déjà considérée comme une spécialiste de ce domaine au moment où elle faisait son entrée chez McKenzie Gervais, devenu Borden Ladner Gervais à la suite de deux fusions.

Propos fossiles…

La reconnaissance de son expertise n’a cependant pas permis d’évincer les rengaines passéistes de sortir de la bouche de collègues masculins qu’elle a côtoyés, signale-t-elle. Elle relate à cet effet la remarque de cet associé qui lui avait suggéré, à la suite du départ d’une employée junior qui souhaitait rester à la maison pour se consacrer désormais à ses enfants, de ne plus embaucher de femmes parce que c’était un casse-tête!

Elle n’a jamais été écorchée par des insultes cinglantes et le fait d’être une femme n’a pas fait obstacle à ses relations avec les clients, confrères et membres de la magistrature, non plus qu’à la gestion de ses affaires quotidiennes, précise-t-elle. Elle a cependant dû faire face, même à l’aube des années 2000, aux propos paternalistes, voire condescendants des avocats de cabinets où elle a travaillé….

Le saut dans le vide

Me Christine Duchaine a commencé à jongler avec l’idée de quitter le nid BLG au milieu des années 2000. Ses aspirations et les voies qu’elle souhaitait emprunter pour servir ses clients s’éloignaient des visées et de la philosophie qui ont cours dans les grands cabinets et correspondaient davantage à celles propres aux cabinets-boutiques, un concept en émergence à l’époque.

« Je voulais notamment pouvoir travailler davantage en équipe, avec d’autres professionnels tels que des ingénieurs ou des consultants », explique-t-elle, en ajoutant qu’elle désirait aussi desservir les petites et moyennes entreprises, dont la majorité n’est pas en mesure de s’offrir les services des grands cabinets.

Elle plonge en 2009 en fondant Sodavex. Le cabinet-boutique compte aujourd’hui sept avocats experts (incluant sa présidente) et il conseille des entreprises, des municipalités et des individus sur tous les aspects concernant la conformité environnementale de leurs activités et de leurs projets.

Le saut… en a fait sursauter plus d’un dans son entourage. La juriste audacieuse était elle-même bien consciente du péril professionnel qu’elle frôlait. Et si ses ambitions se fracassaient contre la montagne de défis? Elle partirait en  quête d’un autre nid confortable, s’était-elle dit à l’époque!

Elle a non seulement survécu au grand bond mais elle en a tiré de grands élans. Sodavex a le vent dans les voiles, allant jusqu’à être considéré parmi les cinq meilleurs cabinets-boutiques en environnement au Canada.

Sa présidente se sent pour sa part parfois happée par les vagues de la direction de cabinet. « La somme de travail est énorme; je consacre la moitié de mon temps à l’administration, en plus des ressources humaines… ».

Sans compter la gestion du contrôle de la qualité. Comme elle se qualifie elle-même de ‘despotique’ dans ce volet de sa mission, l’atteinte du summum est exigeante…

Les faits défilent, émaillés de commentaires, et au fil du récit de l’avocate, les propos dégagent des effluves de jugement introspectif… ainsi en va-t-il de ces mots, qu’elle laisse tomber : « Si j’avais su que c’était ça, il y a quatre ans, je ne l’aurais peut-être pas fait ce saut! ».

Le jugement est bref, aussitôt supplanté par la description des couleurs plus claires et même lumineuses qui teintent le droit de l’environnement, en mutation. « Les lois changent constamment, les préoccupations changent. Alors que le souci de l’environnement était jusque-là un empêcheur de tourner en rond pour les entreprises, c’est aujourd’hui un atout. Une entreprise qui fait des efforts pour être plus ‘verte’ est bien perçue », explique la présidente de la section de droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources naturelles de l’ABC-Québec.

Ne cherchez pas les mots routine et répétition accolés au titre de droit de l’environnement, ils n’y sont pas. En fait, affirme Me Duchaine, les juristes qui évoluent dans cette pratique doivent non seulement être à l’affût des soubresauts et des changements dans la réglementation mais ils doivent en plus pouvoir anticiper les conséquences et les impacts de ces bouleversements.

Et comme la routine rend la présidente de Sodavex malheureuse comme les pierres, les défis de sa pratique sont source de bonheur. Et même si son flegme enveloppe le flot de ses paroles, de ses mots résonnent sa force et sa passion.